LES SECRETS DE LA DANSE POPULAIRE DE LA TANNOURA

Mohamed Abdulhamid Fayed (Égypte)

La danse populaire égyptienne a un rapport étroit avec toutes les autres formes de culture. Aux plans artistique et fonctionnel, elle doit être étudiée aussi bien au niveau de la performance artistique que de la signification que celle-ci revêt dans la vie du groupe. Des danses transmises de génération en génération ont produit un vaste héritage de formes et de mouvements en interaction les uns avec les autres.

La danse de la tannoura (robe) conjugue la beauté gestuelle avec la diversité et la richesse des costumes, des chants et des instruments populaires de musique. En outre, cette danse, qui est en soi toute une expression philosophique profonde, se caractérise par une grande difficulté d’exécution exigeant des danseurs des dons exceptionnels. Sans doute est-ce pour cette raison qu’elle occupe une place éminente dans la plupart des manifestations et festivals régionaux et internationaux.

L’histoire de la danse de la tannoura commence avec les chants soufis inspirés de la poésie du mystique turc Jalal Eddine Al Rumî (1207-1273) et les cercles de derviches. L’artiste égyptien a su ensuite, au cours des premières années de l’Etat fatimide y ajouter de nouveaux mouvements, construisant sur la base du legs turc une œuvre artistique où le chant, le costume, la musique avec ses différents instruments populaires se fondent en un ensemble harmonieux. De cette fusion est né un art organisé autour du mouvement giratoire du danseur qui renvoie aux cycles de la vie et à l’univers infini. La rotation est la règle de l’existence et l’âme s’élève par l’effort auquel le corps est soumis.

La tannoura a un dessin, des couleurs, une texture de tissu spécifique aux danseurs et à l’environnement de l’Egypte, on peut le comparer à l’habit des danseurs hawaïens qui est en parfaite harmonie avec l’environnement physique.
La danse a cependant évolué au rythme de l’époque, elle est à présent accompagnée d’une musique et de chants modernes plus rapides. A l’instigation d’un chorégraphe anglais des lampions électriques ont été fixés sur la tannoura qu’ils entourent de tous les côtés. La performance se fonde sur la souplesse corporelle de l’exécutant et sa capacité à manier les différentes robes. Le mouvement le plus difficile est sans doute celui où le danseur fait tourner une grande lanterne.

La tannoura requiert un entraînement continu, une alimentation adaptée et des dons particuliers. Des femmes ont dernièrement participé à des spectacles de danse, et des sessions de formations sont actuellement organisées au profit de danseurs des deux sexes. Une autre particularité de cette danse est que les membres du groupe sont tout à la fois danseurs et musiciens. Certaines formations, telles que la Troupe traditionnelle égyptienne ou la Troupe de Reza pour les arts populaires ont participé à de nombreuses manifestations locales et internationales et collaboré avec des troupes indiennes, à l’occasion d’un festival, se pliant à la demande du public indien qui souhaitait voir cette danse égyptienne exécutée sur une musique de l’Inde. De son côté, le public anglais a été unanime à acclamer les troupes égyptiennes qu’ils ont classées, lors d’une grande manifestation, en première position devant 27 autres troupes africaines, européennes et américaines. Des danseurs fameux ont eu droit à des surnoms, tels que Le Sindbad de la tannoura ou La Légende de la tannoura, dont l’apport a été considérable dans l’histoire de cette danse. Même si le palais de la culture d’Al Ghouri a réussi à former trois générations de danseurs spécialisés dans cet art, certains de ces artistes espèrent créer un institut pour enseigner cette danse sur des bases scientifiques, avant qu’elle ne sombre dans l’oubli. Des cinéastes se sont de leur côté intéressés à la tannoura et ont produit des documentaires comme Al Lafif (la troupe hétérogène), Le Romancier ou Les Sept couleurs du ciel qui étaient inspirés de l’histoire de cette danse, de ses artistes, de sa philosophie profonde. Ces œuvres ont suscité l’enthousiasme des spectateurs. Les critiques élogieuses n’ont pas seulement contribué au succès de ces films, ils ont fait naître un nouvel élan de ferveur chez le public qui, dans les régions côtières notamment, connaissait fort bien les danseurs de la tannoura qu’il pouvait admirer lors des fêtes anniversaires ou les cérémonies de mariage. Les touristes, arabes et autres, essaient pour leur part, à chaque fois que c’est possible, de s’initier à cet art.

Par-delà le substrat philosophique de cette danse populaire, c’est en fait l’âme égyptienne qui a réussi à conférer à cet art sa forme spécifique, qu’il s’agisse de la diversité des rythmes qui font que le danseur passe de la rotation lente, à la moyenne avant de passer graduellement aux mouvements paroxystiques. Quant aux chants ils se fondent sur les valeurs et les thématiques de la paix, de l’amitié, de la sagesse, du rapport de l’homme à l’univers et à la vie. Le rhapsode est devenu un élément central de la danse à raison de l’effort de créativité par lequel il enrichit la performance : il est en fait l’âme de la tannoura. Cette danse n’est en outre pas exclusivement liée aux rites soufis, elle est même inséparable de toutes les cérémonies et connaît un succès constant auprès des jeunes qui se présentent en grand nombre pour l’apprendre car elle confère aux manifestations de la ferveur populaire un éclat singulier grâce à toute cette beauté liée à l’adresse de ces danseurs devenus autant de derviches tourneurs, libérés des pesanteurs de la vie ici-bas et emportés en un mouvement ascensionnel vers les hautes sphères de l’immatériel.