L’ASPIRATION A LA NOBLE SEPULTURE DU PROPHETE DANS LA POESIE POPULAIRE ALGERIENNE L’exemple du poème « Depuis Thèbes » d’Ibn Qaytoun

La poésie populaire algérienne a toujours puisé dans l’Islam ses thèmes et les formes de son expression artistique. Cette tradition s’explique par la formation religieuse des poètes populaires de ce pays. Ceux-ci se sont en effet, dans la plupart des cas, instruits en fréquentant les zaouias (mausolées des saints) où ils apprenaient le Saint Coran et la Sîra (actes et dits) du Noble Prophète et s’imprégnaient des rites et traditions islamiques. Cela a en outre contribué, pour une large part, à leur apprentissage de la langue et de la littérature arabes. Mais il ne faut pas non plus oublier que c’est l’épreuve du colonialisme qui a été, pour beaucoup de ces apprenants, à l’origine de leur vocation poétique autant qu’elle a exalté leurs sentiments religieux. Ils ont ainsi pris conscience du défi que représente la puissance coloniale française qui a envahi et asservi leur pays, et se sont tournés vers l’Islam qui est devenu la référence fondamentale de leur création poétique et un moyen efficace pour convaincre les gens de l’impérieuse nécessité d’entreprendre le Djihad (la guerre sainte) pour libérer le pays du joug colonial.

 

Tel est le contexte dans lequel la poésie religieuse algérienne a creusé sa voie et trouvé sa source d’inspiration. Et ce sont des motivations où se mêlent religion et nationalisme qui ont permis l’éclosion de ces poésies récitées en  public à l’occasion des célébrations religieuses, celles liées au mouled (anniversaire de la naissance du Prophète) autant que les autres, sous leurs diverses formes et dans toute leur variété.

« La thématique religieuse n’a cessé de se développer et de se renforcer. Elle a fini par dominer la vie intellectuelle, politique et culturelle, élargissant d’autant l’impact de ce type de poésie. Et l’on a vu les poètes se tourner de plus en plus vers les temps bénis de la Révélation qu’ils érigeaient comme un rempart contre l’injustice qui leur était imposée. Les chants à la gloire du Prophète (mada-ih) sont devenus autant de refuges où le créateur trouvait force et consolation. Les poètes concevaient leurs poèmes comme autant de déplorations inspirées par l’état auquel le pays était réduit. En célébrant le Prophète – que la Paix et la Prière soient sur Lui –, ils s’éloignaient en fait d’une réalité où ils ne trouvaient guère de raison d’espérer. La Révélation était devenue un abri et une source d’inspiration. »

Les poètes populaires ont nourri leurs œuvres des innombrables motifs où ils exprimaient leur amour de la patrie, leur nostalgie de la liberté perdue, leur haine et leur rejet du colonisateur. Leurs poèmes ne furent en aucune façon une forme de divertissement (fût-ce au sens pascalien) ni une vaine lamentation sur un passé révolu, mais bien l’expression des regrets et de l’affliction qui les tenaillaient.

Le recueil de poésies d’Ibn Qaytoun contient de nombreux poèmes consacrés aux élans de profonde nostalgie que la noble sépulture du Prophète et les Lieux Saints de Médine suscitent chez le poète. Un amour profond pour la haute figure du Messager de Dieu ne cesse ainsi de s’exprimer, sous diverses formes, dans ces œuvres où l’évocation de la noble sépulture se mêle aux hymnes à la Révélation. Nombreux sont en effet les poèmes où Ibn Qaytoun, louant les hautes vertus du Prophète, en vient à évoquer la noble sépulture et à dire son aspiration à visiter les Lieux saints de Médine afin d’y trouver le réconfort, de déplorer les vicissitudes du sort et d’implorer la bénédiction divine. C’est la figure du Prophète, fréquemment évoquée dans ses poèmes, qu’il implore pour trouver la consolation dans cet état où il se sent séparé de son âme même, étranger à elle. Et c’est vers un univers d’apaisement et de profonde sécurité intérieure que le transporte le colloque avec le Saint Messager qu’instaure le discours inspiré par le vœu de se rendre à Médine pour se recueillir sur la noble sépulture.

Abdellatif Hanni
Algérie