LES LEGENDES ET CONTES POPULAIRES LIES AUX CREATURES MARINES AU BAHREIN
Issue 33
Hussein Mohammed Hussein
On parle de « créatures légendaires », d’« animaux légendaires » aussi bien que d’« entités légendaires », c’est-à-dire d’entités qui n’ont pas d’existence dans la nature ou dont l’existence ne peut être démontrée physiquement. Il s’agit d’« êtres » dont la description a été donnée par ceux qui croient à leur existence ou prétendent les avoir observées dans d’étranges circonstances. Ces créatures ne se limitent pas à une culture donnée à l’exclusion des autres, pas plus, du reste, qu’il n’existe au monde une culture connue où l’on ne rencontre ne serait-ce qu’une seule de ces créatures légendaires. Et, même s’il existe dans toute communauté des personnes qui ne croient nullement à l’existence de telles entités, il s’y rencontrera toujours d’autres personnes qui croient fermement à leur existence, surtout lorsque ces créatures ont réussi à investir la mémoire collective du groupe.
Les livres du patrimoine arabe et les recueils mythologiques des différentes cultures font toujours référence à des créatures marines légendaires, décrites comme des entités intermédiaires entre l’homme et la faune marine. Dans la tradition arabe, nous les trouvons sous diverses dénominations tels que « les filles de la mer » ou « l’homme de la mer », et, dans la tradition persane, des entités portant des noms tel que malak diryah. Leurs équivalents dans la culture occidentale seraient les créatures imaginaires appelées mermaid (la jeune fille de la mer), merman (l’homme de la mer) ou la sirène dans la mythologie grecque, toutes entités qui ont pour origine les pingouins et les phoques, et plus particulièrement le phoque moine (monk seal).
Mais ces légendes ont évolué au gré des contes écrits, et différentes ramifications narratives ont pu voir le jour à partir des anciennes légendes, avec des créatures telles que la mariée de la mer ou la belle de la mer dont on ne trouve certes pas trace dans le patrimoine arabe mais qui sont dotés de noms inventés par le grand public et popularisés par la machine médiatique. Certains ont pu rattacher ces êtres mythiques aux veaux de mer. Une partie de ces légendes se sont, à l’intérieur de la culture populaire bahreïnie, et plus généralement des cultures du Golfe arabe, amalgamées à d’autres, donnant naissance à une créature imaginaire appelée bou diryah.
Bou (ou abou) diryah est à cet égard un « être » légendaire venu de la mer auquel le commun des Bahreïnis et, de façon plus générale, des habitants de la région du Golfe a longtemps cru. A l’origine de cette légende, nous trouvons une créature imaginaire appelée en persan malak diryah (le roi de la mer) et dont la légende s’est transmise aux populations de la région du Golfe arabe avec différentes modifications du nom persan.
A l’origine de la légende des jeunes filles de la mer nous trouvons cet animal marin qui appartient à l’espèce des mammifères, que l’on appelle en arabe el atoum (dugong) et dont le nom savant qui vient des langues anciennes est halicore, un nom composé de deux radicaux latins signifiant la jeune fille de la mer et non pas la sirène. El atoum est une appellation qui revient dans les ouvrages relevant du patrimoine arabe et que les populations du Golfe arabe désignent par les mots « baqaratu al bahr » (le veau de mer – en arabe, littéralement, la vache de mer).
La mémoire populaire dans la région du Golfe recèle des trésors de connaissances en rapport avec les poissons. Beaucoup de contes, légendes et proverbes populaires au Bahreïn et, plus généralement, dans certaines parties du Golfe se rapportent à différents types de poissons. Des récits populaires proposent une explication à tel ou tel phénomène observé par des marins qui ont été incapables de le comprendre et se sont finalement rabattus sur le conte populaire ou le récit imaginaire pour lui trouver une explication. On voit ainsi que les légendes ont joué un rôle important en remplissant le vide cognitif afin de donner un sens à ce que ces hommes ne pouvaient expliquer rationnellement. Il se pourrait certes qu’il y ait des éléments d’explication scientifique à de tels phénomènes ou qu’il s’agisse tout simplement de constructions imaginaires fabriquées par le public sous la forme de récits populaires, mais ce type de conte où les poissons jouent un rôle central ne s‘arrête pas à l’effort d’explication de tel ou tel phénomène, il s’étend au dicton et à la sentence, si bien que le conte se trouve en quelque sorte transcendé par le proverbe populaire dans lequel il s’est transformé pour remplir la même fonction.
L’auteur se propose dans son travail de réunir le plus grand nombre possible de contes et de légendes populaires du Bahreïn qui ont un rapport avec la faune marine, de les comparer ensuite à des contes et légendes similaires avant de les documenter à l’échelle du reste de la région du Golfe arabe.