LA MUSIQUE DE LA TARIQA AÏSSAOUIE ET SES DÉVELOPPEMENTS EN TUNISIE
Issue 57
Dr Hichem ben Amor. Tunisie
Tout patrimoine se répartit en ‘’patrimoine matériel’’ (bâtiments, outils et autres artefacts) et ‘’patrimoine immatériel’’ (idées, théories, coutumes, croyances, voire aspirations, espérances, mais aussi l’ensemble de l’héritage enregistré sur divers supports matériels, la pierre et le papier ou la mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective, des hommes, comme c’est le cas pour les récits oraux transmis à travers le temps sous la forme de récits, contes, usages, proverbes, dictons, chants, et autres productions de l’esprit).
Parmi ces importantes productions ‘’immatérielles’’, l’auteur met l’accent sur les recueils de chants et de compositions musicales adoptés par les adeptes des tariqas soufies populaires. Il s’agit à cet égard de productions orales transmises de génération en génération, le plus souvent par l’apprentissage direct, et recelant de nombreuses données historiques ainsi que des informations relevant de l’anthropologie culturelle et sociale. Ces données révèlent diverses situations et réalités propres à la structure sociale qui est à la base de la pyramide où se sont formées ces différentes organisations appelées tariqas. C’est du reste cette base sociale qui nourrit l’ensemble des pratiques et usages qui ont cours au sein de ces tariqas et qui sont, au départ, liés aux croyances religieuses mais où ces formes d’expression artistique et/ou esthétique ont fleuri et n’ont cessé de s’amplifier et de s’accumuler à travers le temps.
Les recherches relatives à ce legs qui n’a cessé de s’enrichir d’un siècle à l’autre ressemblent par certains aspects aux fouilles archéologiques. Ce legs contient en effet des pièces de valeur qui ne demandent qu’à être mises au jour, classées et documentées avant d’être analysées sous leurs différents aspects afin qu’en soient révélés la composition et les éléments constitutifs, que soient comprises les visées de leurs créateurs, déterminés les styles et formes artistiques que ces derniers ont développés à travers la conception et la finalisation de ces pièces et, en même temps, révélés les formes d’interaction entre ces œuvres inspirées du soufisme, en tant que legs sacré de l’Islam, et des œuvres venues d’autres horizons socioculturels, certaines sans rapport aucun avec les croyances religieuses, d’autres pouvant être liées à des croyances et à des héritages antéislamiques.
Ce legs est, du point de vue de l’auteur, le produit d’une culture universelle dont la plupart des racines ethnographiques dépassent l’aire géographique où cette culture s’est développée et dont le substrat historique nous ramène à des âges très lointains qui précédent la période de leur apparition et de leur diffusion.
Proche de ce champ musical patrimonial qu’il connaît d’expérience, l’auteur a choisi de consacrer ses recherches à l’ensemble des pratiques du chant et des formes musicales propres à la tariqa soufie populaire appelée la Aïssaouia qui sont présentes dans la majorité des régions de la Tunisie.
L’étude est subdivisée en trois parties. Dans la première, l’auteur essaie de mettre en évidence les racines de cette organisation soufie et les conditions dans lesquelles elle est née et s’est répandue à travers les régions. Il recense dans la deuxième partie l’ensemble des pratiques rituelles de base adoptées par les adeptes de la tariqa soufie en Tunisie, ainsi que leurs caractéristiques orales et vocales. Il procède dans la troisième partie au repérage des développements les plus importants qui ont marqué les œuvres de la Aïssaouia, ainsi que les principales mutations survenues au niveau des pratiques musicales et des fonctions qui y sont liées, à travers la Tunisie.